Les ateliers de la pensée – Festival d’Avignon
Théâtre chinois contemporain, metteurs en scène, une nouvelle « avant-garde » ?
15 juillet 2019
Retrouvez l’intégralité de cette rencontre sur le site festival-avignon.tv :
Compte-rendu de la rencontre
Ce volet des Ateliers de la pensée a réuni : Meng Jinghui (metteur en scène de La Maison de thé), Christian Biet (professeur d’études théâtrales à l’Université Paris-X-Nanterre), Wang Jing (dramaturge, docteure en études théâtrales et co-productrice de La Maison de thé en France), et Robert Lacombe (conseiller de coopération et d’action culturelle et directeur de l’Institut français de Chine).
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Christian Biet :
Cette rencontre, c’est un moment intéressant pour questionner le théâtre contemporain chinois : est-ce que c’est une avant-garde ? Est-ce c’est un théâtre expérimental ? Est-ce que c’est un théâtre d’innovation ?
Meng Jinghui n’est pas le seul à travailler de cette manière là, mais il est le seul à avoir un vrai style, qu’on appelle le « style Meng ».
Je voudrais cependant faire une petite précision au départ, pour vous dire que le théâtre chinois n’est pas nécessairement un théâtre exotique, qui véhicule une image plus ou moins typique de la Chine. Le théâtre chinois est un théâtre qui connaît bien, et depuis très longtemps, les avant-gardes françaises et américaines, et qui travaille dessus. C’est un théâtre qui est dans l’extrême modernité, qui parle des questions esthétiques et des questions politiques, mais qui n’est pas nécessairement exotique.
Une deuxième chose : La Maison de thé est une pièce qui a été d’abord présentée en 1980 en France au théâtre de l’Odéon, dans une mise en scène de type exotique classique, c’est-à-dire réaliste à la chinoise. Au contraire, le parti [de Meng Jinghui] a été de faire en sorte que cette maison de thé se réfère au passé d’un côté, mais joue avec l’extrême contemporanéité de l’autre : et parle non seulement du contemporain pour ce qui est de la question politique, mais aussi du point de vue esthétique. Evidemment il y a des références qui sont propres aux Chinois, qui vont comprendre un certain nombre de choses.
D’autre part notre travail à nous, si je puis dire, et notre plaisir, c’est d’aller voir, d’aller écouter ce qui se passe, et de comprendre quels modes d’intervention Meng Jinghui et sa troupe ont suivis pour nous dire tout ça.
Ce que fait Meng Jinghui, c’est premièrement de prendre La Maison de thé, mais d’autre part d’insérer à l’intérieur de la structure-même (qui est une structure historique), un commentaire plastique, esthétique, qui est propre à notre période, c’est-à-dire à 2019. Alors ce que je voudrais d’abord savoir, c’est : comment a-t-il joué sur cette insertion, cette discontinuité, ce système de séquences qui se met en place dans la mise en scène ?
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Meng Jinghui :
L’oeuvre a été dans un premier temps décortiquée puis réassemblée. Le premier travail a vraiment été un travail de décomposition de la pièce, auquel a succédé un travail de recomposition. L’enjeu était justement de recomposer.
Dans la pièce originale, l’important réside dans l’histoire, la narration. Or dans la façon dont je me la réapproprie, ce sont les sentiments des personnages et leur imagination qui comptent.
L’important dans une œuvre, c’est le regard que porte le metteur en scène sur le monde, et le regard qu’il porte sur lui-même. Ces derniers temps, j’ai été confronté à beaucoup de bouleversements, j’ai constaté beaucoup d’événements, et j’ai essayé de retranscrire ces bouleversements que j’ai vécus dans ma mise en scène.
Ma femme est auteur dramatique, et a dit que pendant la création, la douleur l’accompagne tout le temps. Et pour combattre cette douleur, l’imaginaire est convoqué. Elle ne veut plus écrire, parce qu’elle a l’impression que cela n’a plus de sens ;
j’ai très peur que la même chose m’arrive, peur de baisser les armes artistiques.
Du coup, je prends l’imagination comme appui, parce que dans l’imagination réside le sens.
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Christian Biet :
L’idée de déconstruire la pièce pour la reconstruire laisse un passage pour celui qui déconstruit et reconstruit [= le spectateur], qui est précisément le travail d’interprétation, d’imagination, mais aussi, et c’est très important en Chine aujourd’hui, de liberté pour pouvoir le faire.
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Meng Jinghui :
Je suis d’accord.
Ce qui est important, c’est de pouvoir créer une circulation entre le théâtre et un lieu au sens plus large, c’est à dire un univers.
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Christian Biet :
J’imagine que tous ceux qui ont assisté au spectacle ont vu ça : il y a non seulement une scénographie absolument époustouflante, en particulier dans la dernière séquence, où pourtant on est habitués à Avignon, avec le passage de Castorf et autres, à voir détruire des décors.
Mais là ce n’est pas un décor qui se détruisait, c’était un monde qui tournait et qui allait d’une certaine manière vers sa propre déconstruction, avec une construction langagière sur le devant.
C’est-à-dire qu’à la fois il y avait un rapport entre le texte qui était dit et la destruction qui tournait derrière, qui était tout à fait impressionnant. Ça c’était quelque chose de tout à fait cohésif, en cohésion absolue. Et la deuxième cohésion c’est de voir ces dix-neuf acteurs sur le plateau, qui passent leur temps à jouer, à échanger en même temps des paroles, et à échanger du texte à proprement parler. Est-ce que ça a été le cas dans les répétition, que les acteurs puissent échanger leurs propres textes ?
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Meng Jinghui :
Quinze jours avant la création du spectacle à Wuzhen, on avait répété d’abord une version de 4h30, puis j’ai décidé d’enlever une heure, pour que ce soient vraiment des séquences. Mais il y a toujours une ligne rouge : le personnage de Wang Lifa, son imagination, son rêve, sa douleur…
Vers la fin de la création, les comédiens ont vraiment eu la liberté de créer leur propre texte dans le spectacle.
Par exemple au moment du rap, le texte rappé par le comédien avait été écrit par lui ; les souvenirs sur les petits marchands de rue à Pékin et le vendeur de libellule relèvent aussi d’une écriture personnelle. De même pour l’improvisation de Chen Minghao avec son téléphone. J’ai vraiment voulu donner cette liberté aux acteurs.
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Christian Biet :
On a donc une trame narrative classique qui est celle de Lao She, et dedans on a non seulement une intervention du metteur en scène et de la dramaturge dont on a parlé, mais aussi des acteurs qui intègrent à tout ça leurs propres souvenirs et leurs propres biographies. La deuxième chose, et c’est une déclaration que Meng Jinghui a faite, autour d’une structure qui serait une structure corporelle donnée à la pièce, à travers les personnages. Il y aurait le cœur, l’estomac, et la tête et les pieds. Et ça, ce serait le corps de la structure de la pièce, et d’une certaine manière le corps de cette mise en scène. Je voudrais en savoir plus là-dessus.
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Meng Jinghui :
Le travail de mise en scène est vraiment très spontané. Le corps est au cœur de mon travail de mise en scène, parce que
je pense que les paroles véhiculent toujours des mensonges, tandis que le corps ne ment jamais.
La conscience, l’esprit et l’imagination des humains s’expriment à travers lui. Donc j’accorde beaucoup d’importance au dynamisme corporel. Pendant les représentations, les acteurs donnent tout, leurs corps sont complètement vidés.
C’est fatiguant pour les acteurs, mais aussi pour les spectateurs, comme dans un sport que tous partageraient. A la fin de la deuxième représentation, une spectatrice a fondu en larmes et pleuré longtemps dans le gradin, alors que le rideau était fermé. Tous les artistes l’ont vue, car ils étaient derrière le rideau. Ils ont dit qu’ils allaient rester là, même si elle ne les voyait pas, pour l’accompagner.
C’est ce qui est important pour nous, cet échange. C’est pour ça que je pense que le corps peut parler, influencer les autres, passer des messages, c’est peut être le meilleur outil pour communiquer dans le monde.
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Christian Biet :
On va revenir sur l’importance du corps, et pour cela on va se tourner vers Wang Jing : quelle est l’importance du corps dans le théâtre chinois contemporain ? Autant le texte reste très important, vous l’avez vu, vous l’avez entendu, ce texte est proféré à proprement parler. Ce qui m’a beaucoup intéressé dans cette mise en scène, c’est le rapport avec ce qui se passait dans l’avant-garde européenne des années 50, en particulier dans la première partie : tout le travail sur la profération. Les lettristes, les pré-situationnistes, les surréalistes et les dada auparavant, étaient d’abord dans la performance et dans la profération.
Or toute la première scène du spectacle consisté précisément en un jeu de profération, c’est-à-dire un travail adressé au public pour vous envoyer de la parole, vous envoyer du discours, et que vous preniez acte du fait qu’il y ait des gens qui parlent et qui profèrent devant vous.
Donc y compris dans la parole, il y a un travail corporel. L’impression que j’ai, dans le théâtre contemporain et pas seulement celui de Meng Jinghui (je pense aussi à Zhao Miao), c’est cette importance de la gestuelle, du travail sur le corps, qui est parfois hérité du xiqu et des autres arts traditionnels, et qui est reversé dans le théâtre contemporain.
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Wang Jing :
Il y a deux formes de théâtre en Chine. Le xiqu et le théâtre parlé, dont l’appellation le distingue justement du théâtre chinois chanté et dansé. Le xiqu est un théâtre dans lequel le corps est toujours en jeu. C’est vraiment la racine culturelle en Chine. Et c’est à partir de 1907, via le Japon, qu’une forme de théâtre parlé est importée en Chine. Dans le travail de Meng Jinghui, depuis le début le corps est mis en jeu ; langage en soi et langage corporel sont toujours liés.Dans la première scène de La Maison de thé, qui dure 20 minutes, on crie. Ici,
Meng Jinghui a voulu décrire l’état d’esprit des chinois, qui sont étouffés et n’arrivent plus à s’exprimer.
En Chine, un roman de Lu Xun s’appelle Le cri, qui est très connu. Les gens cherchent une échappatoire, et cette première scène de La Maison de thé est à ce titre très symbolique et très politique…
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Christian Biet :
Peut-être qu’on peut revenir à la toute première mise en scène de Meng Jinghui : Beckett, En attendant Godot, 1989 ou 1990. Meng Jinghui, qu’est-ce qui s’est passé ?
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Meng Jinghui :
En décembre 1989, j’ai voulu monter En attendant Godot, que j’ai voulu présenter sur un tas de charbon dans mon école. Mais les responsables de l’école ont trouvé ça ridicule, et nous l’ont interdit. Finalement, on a joué au foot sur le charbon parce que le spectacle a été annulé. En réalité, on récitait les répliques de la pièce pendant qu’on jouait, et c’est devenu une sorte de performance.
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Christian Biet :
Ensuite, vous avez continué à travailler à la fois sur des performances utilisant des textes chinois contemporains, mais aussi sur des textes occidentaux (Beckett, Genet, Ionesco). J’aimerais en savoir plus sur ce double système de références.
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Meng Jinghui :
Depuis les années 1980, la Chine a ouvert ses portes au monde. Il y a vraiment une diversité de la scène chinoise avec différents courants, mais qui tous ont un lien avec le théâtre occidental, parce que le théâtre parlé est de base importé de l’Europe, c’est une chose que l’on ne peut pas ignorer. Donc on observe toujours un regard vers l’occident quand on réalise notre propre théâtre parlé. Au cours des trente années d’existence du théâtre parlé chinois, la discussion sur la façon de trouver notre propre identité culturelle, parmi tous les courants occidentaux, s’est toujours trouvée au cœur des préoccupations des artistes Chinois de théâtre. Mais le théâtre contemporain chinois trouve aussi sa propre voie, et un troisième courant avance ou recule, émerge de ce mouvement contradictoire.
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Christian Biet :
Je voudrais revenir sur ce qu’on appelle le « style Meng » en Chine. Moi, j’ai repéré l’idée de dissonance, de discontinuité, d’hétérogénéité, et puis un certain nombre d’images comme le fait de mêler le prosaïque, le vulgaire et le poétique, mettre très généralement des écrans de télé brouillés (ce qui vient plutôt de l’avant-garde américaine), utiliser des néons, beaucoup travailler l’adresse public, et d’autre part n’avoir pas vraiment de personnages, mais plutôt des adresses, des comédiens qui se répartissent le texte. Ça ne correspond pas uniquement à Meng Jinghui, mais c’est probablement une des manières qu’il a trouvées pour s’exprimer aujourd’hui en Chine, en s’exprimant à la fois aux confins de ce que nous, nous connaissons de l’avant-garde américaine, qui est devenue l’avant-garde française puis qui est passée en Chine. La Chine qui va réutiliser, en se réappropriant un certain nombre de réflexes des avant-gardes, pour elle-même s’exprimer. Ça a été le cas dans les années 90, et ça continue maintenant. Est-ce que c’est ça, le « style Meng » ?
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Meng Jinghui :
Je suis assez mal à l’aise avec cette idée de « style Meng », parce qu’en Chine on dit rarement « moi », « je » : on dit plutôt « nous ». Mes créations ont des styles assez variés, mais une chose importante est le fait de faire face à notre société actuelle, que ce soit en prenant des textes occidentaux ou des textes du répertoire chinois.
Le propos doit toujours concerner notre société d’aujourd’hui.
Je trouve aussi qu’il est très important de conserver le dynamisme du théâtre chinois. Le public chinois est très jeune, ce sont surtout les étudiants qui vont au théâtre. Tandis qu’en France, les jeunes ne vont pas au théâtre… Or Lénine a dit cette phrase : « pour convaincre l’avenir, il faut convaincre les jeunes, les étudiants ».
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Christian Biet :
Depuis l’introduction du théâtre parlé en chine, les rapports entre le théâtre occidental et le théâtre chinois ont été constants. Aujourd’hui, ce qui a lieu et qui est promu, c’est le rapport entre les troupes françaises qui vont en Chine, dans des festivals ou autre chose, et les troupes chinoises qui, elles, comme on le voit en Avignon, viennent dans le OFF et maintenant dans le IN, consécration suprême. Quelles sont les difficultés qui se mettent en place ?
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Robert Lacombe :
Il faut mettre les choses en perspective parce qu’il n’y a pas le même degré d’intimité entre les artistes de théâtre Chinois et Français, ni le même degré de collaboration entre les institutions des deux pays, comme c’est le cas en cinéma par exemple. Depuis les années 1990, il y a eu une multiplication des équipements culturels en Chine. Aujourd’hui il y a 6000 musées, 3000 salles de spectacle, 60 000 écrans de cinéma. En France, on a 4600 écrans de cinéma. Ces nouvelles structures sont extrêmement demandeuses de spectacles vivants de qualité. Il y a aujourd’hui une forme qui fonctionne très bien commercialement, c’est la comédie musicale à la française. Sur un plan strictement économique, et si on considère le critère du remplissage (qui est un critère partiel), la réalité de ce que le grand public connaît du théâtre français aujourd’hui en Chine, c’est la comédie musicale à la française. Tout le reste va s’adresser à un public plus choisi, limité aux très grandes villes et donc à un réseau de théâtre qui passe de 3000 salles à 30, et à un seul Festival, dont Meng Jinghui a assumé la direction artistique pendant deux ans, c’est-à-dire le Wuzhen Festival.
Après, il y a une grande pluralité d’acteurs. Mais avant de parler de cette pluralité, c’est important de savoir à quelles condition vous pouvez mettre en scène de la parole en Chine, que cette parole soit écrite, dite, ou chantée. A chaque fois, il faut soumettre le texte à la censure pour obtenir le piwen, c’est-à-dire l’autorisation. Cela concerne les artistes Français mais aussi les artistes Chinois. Il y a un côté à la fois omniprésent, erratique et pas forcément très rigoureux de la censure, avec un caractère de plus en plus contraignant, la promotion d’une esthétique officielle où les artistes sont invités à créer des œuvres au service du parti et de la nation, de façon beaucoup plus insistante qu’avant.
On a rarement atteint ce degré de pression sur les artistes Chinois depuis une trentaine d’années. Et malgré tout, on peut faire plein de choses.
Il y a aussi un autre facteur, c’est que tous ces investissements gigantesques dans les grands équipements culturels, il faut les rentabiliser : il faut être en mesure de proposer une offre culturelle diversifiée, de nature à satisfaire la demande d’une classe moyenne exponentielle de plus en plus raffinée, de plus en plus exigeante, qui voyage, qui vient à Avignon ou ailleurs, qui parle et comprend les langues étrangères, qui est parfaitement au courant de ce qui se passe dans le monde, et qui ne se satisfait plus des sous-produits de grands spectacles qu’on y donne. C’est là je crois qu’il y a une réelle marge de progression pour un théâtre différent, par exemple un théâtre Français, mais pas que. Par exemple les relations théâtrales de la Chine avec la Pologne sont très fortes, sans parler de l’Allemagne bien entendu. Donc il y a une place, il y a une demande pour ça, et les responsables politiques savent que cette demande est irrésistible, que de toute façon le vent de la liberté est plus fort que tout. Ils se heurtent aujourd’hui à un certain nombre de contraintes propres à la dynamique interne du régime, mais deux pas en arrière, trois pas en avant, cela progresse et on s’aperçoit que non seulement les Chinois sont très intelligents (les programmateurs), mais qu’ils sont aussi très désireux que nous les accompagnons dans leurs stratégies de contournement.
[…]
Je crois qu’il y a aussi eu une maturation des goûts des programmateurs, qui sont venus de plus en plus, pas seulement à Avignon, à Mettre en scène, au Printemps des comédiens, au Festival d’Automne, au Kunsten à Bruxelles, au Wiener Festwochen, etc. Donc aujourd’hui on croise des gens qui sont pleinement dans cette mondialisation du spectacle vivant, et puis il y a une relation avec le Japon qui est très intéressante, avec quelqu’un comme Orisa Hirata, avec le Festival de Shizuoka, il y a aussi des dynamiques locales qui sont crées en Asie entre professionnels du spectacle vivant, qui n’existaient pas ou beaucoup moins avant. Donc il y a je crois un processus endogène.
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Christian Biet :
Qu’est-ce que le Wuzhen festival permet ?
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Meng Jinghui :
Le Wuzhen est un festival indépendant, qui n’est pas financé par le gouvernement mais par un fond privé. Il n’y a pas de fonctionnaires dans la direction du festival, seulement des artistes qui prennent les décisions, et aussi des étudiants.
Beaucoup de jeunes créateurs travaillent avec nous dans ce festival. Il y a beaucoup de choses délicieuses à manger, du vin, et comme maintenant la lutte contre la corruption est très importante en Chine, les fonctionnaires n’osent plus venir, c’est pourquoi on dit que Wuzhen est le paradis des artistes ! Pendant dix jours, pendant le festival, tous les artistes sont comme des enfants, ils s’amusent. Grâce à ces échanges, ils rompent des malentendus et parviennent à se comprendre. Ils peuvent échanger leurs imaginaires avec des artistes d’autres cultures. C’est peut-être le festival le plus amusant parmi tous les festivals de spectacle vivant en Chine, le plus jeune aussi, et ce sont les artistes qui décident.
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Christian Biet :
Wang Jing, comment se passe l’arrivée de troupes chinoises en France ? Cela fait plus de dix ans que tu travailles à ce genre d’échanges : quelles sont les difficultés, les incompréhensions, les problèmes qu’il peut y avoir ?
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Wang Jing :
En fait c’est vraiment depuis 2011 que ce travail a commencé, car c’est l’année où Meng Jinghui a créé le Beijing Fringe Festival. C’est un festival qui encourage des jeunes artistes, tout juste diplômés ou qui sont encore dans des écoles de théâtre. Chaque année quelques compagnies sont sélectionnées pour venir en France, au Festival OFF d’Avignon ; c’est non seulement pour montrer le travail actuel des jeunes artistes chinois, même s’ils ne sont pas encore matures, mais aussi pour créer une possibilité d’échange, pour qu’ils puissent découvrir d’autres choses dans le monde. Parce qu’en Chine, dans les années 2000, on ne voyait pas tant de spectacles étrangers que ça.
Des artistes qui voyagent, qui regardent, ce sont comme des étincelles : de retour en Chine, ils pourront influencer d’autres artistes.
C’est pour cela que j’accompagne chaque année des compagnies chinoises, qui sont financées par l’association des jeunes artistes du théâtre ; mais la subvention vient du Ministère de la Culture et du Tourisme de Chine. Avant 2017, le Ministère de la culture laissait une liberté de choix à l’association, et ne vérifiait pas le contenu des spectacles envoyés en France. Même, certains membres du Ministère défendaient des artistes, avaient un vrai engagement artistique. Mais depuis 2017, on ne peut plus faire ça. Il faut vérifier les textes. Mais on choisit toujours des artistes qui ont une envie de s’exprimer ; ils ne sont pas toujours au top au niveau artistique, mais au moins ils ont cette envie d’apprendre, de créer du dialogue. Et je trouve que c’est ça qui est précieux, dans cet échange franco-chinois, parce qu’on n’est pas devenus grands d’un coup. Il y a toujours des petits artistes à aider, à accompagner pour qu’ils grandissent.
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Christian Biet :
Ce qui est intéressant, c’est qu’un certain nombre de troupes chinoises, dont aujourd’hui Meng Jinghui, viennent avec des spectacles qui expérimentent des choses. Leur réflexion est parfois totalement aboutie, parfois hétérogène. En tout cas, c’est un travail de recherche, de pensée sur le théâtre aussi. Et pour moi c’est précisément ce à quoi sert un festival.
Un festival ce n’est pas fait pour amener des produits déjà finis, déjà rodés, mais pour montrer du travail sur le théâtre : arriver avec des propositions, et faire en sorte que ces propositions soient vues de manière bienveillante, dans un effort de compréhension pour comprendre ce que les autres nous proposent. C’est ce que le public d’Avignon semble cette année avoir compris.
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